Monsieur Müller, dans le cadre du projet Rega « CIH d’avenir », vous avez demandé à vos partenaires, Supercomputing Systems AG et Hexagon, d’associer vos chefs d’intervention au processus de développement des nouveaux systèmes TIC. Pourquoi ?
La Rega a des exigences très élevées – à elle-même et à tous ses partenaires. La raison : Chez nous, tout tourne autour de la vie humaine, ce bien le plus précieux. C’est pourquoi toute plus-value que nous pouvons générer au niveau des interventions vaut son pesant d’or. Et qui mieux que nos chefs d’intervention savent où trouver des ressources encore inutilisées ?
C’est justement pour mettre leur expérience à profit, qu’ils ont dû être présents durant tout le développement. Car, pour cerner les besoins il ne suffit pas de se renseigner ponctuellement. Pour autant que les exigences se transforment souvent au fil de la création de nouvelles possibilités.
Une grande partie de ce que nos chefs d’intervention jugent essentiel, est éventuellement ressentie comme banal par les personnes extérieures. Pourtant, chaque détail est indispensable pour assurer un travail efficace auprès de la Rega.
Prenons par exemple l’affichage des informations cartographiques sur le tableau de bord. Chaque utilisateur a sa propre idée du paramétrage optimal. Il nous a donc paru important que l’affichage soit personnalisable. C’est la seule manière pour chaque utilisateur de bénéficier d’une sécurité d’utilisation optimale, même s’il est déjà en service depuis plusieurs heures et qu’il est stressé.
L’enregistrement vocal est un autre exemple. Pour nos collègues, il était essentiel de pouvoir utiliser rapidement la fonction « avance rapide et retour » à l’aide d’un simple curseur, lorsqu’ils souhaitent réécouter une phrase particulière dans le but de s’assurer d’avoir tout compris correctement.
En fin de compte, il s’agissait de rendre la manipulation aussi intuitive que possible dans tous les domaines, afin que les chefs d’intervention puissent se concentrer sur leur dossier et ne perdent pas de temps à réfléchir à comment utiliser le système.
Il s’avère aujourd’hui que nous avons fait le bon choix en impliquant les collaborateurs. Dès le début, nous avons pu leur expliquer les raisons de la nécessité d’opérer le changement. C’est ainsi qu’ils ont accepté, et voulu, s’associer activement à la transformation. Au cours du projet, ils ont reconnu les avantages que les innovations leur apportaient. Leur conviction que ce chemin était le bon grandissait ce faisant. Aujourd’hui, ils sont enthousiasmés par le résultat.
N’y avait-il pas un risque d’excès d’idées ou d’exigences ?
Il est évident qu’un projet IT ne doit pas se transformer en liste d’envies où chacun peut participer et cocher la case qu’il lui plaît. Nous avons donc communiqué les lignes directrices au préalable et chacun connaissait les limites. Ces dernières ont été acceptées, car elles avaient du sens et avaient été définies avec les utilisateurs.
La liste d’envies était, bien entendu, très longue. Trop longue, pour être exact. C’est pourquoi nous avons réduit peu à peu ce qui était souhaitable à ce qui était faisable et raisonnable. Nous avons ainsi trouvé une solution qui satisfaisait à toutes les exigences sans pour autant être excessive.
Comment a fonctionné la collaboration ? Comment les informations ont-elles été diffusées et renvoyées ? Un outil de projet accessible à tous était-il disponible ou bien un procès-verbal détaillé a-t-il été établi après chaque réunion tenue tous les quinze jours ?
Non, cela aurait été bien trop complexe et aurait pris trop de temps. Nous avons travaillé avec de simples maquettes papier et avons réalisé nos cas d’utilisation en suivant un scénario cohérent.
En premier lieu, nous avons décrit à SCS les besoins respectifs, notamment ceux pour l’enregistrement vocal. À cet effet, les développeurs sont venus dans la centrale d’intervention pour se rendre compte directement du déroulement de cette opération et voir quelles sont les mesures à exécuter par le chef d’intervention. Ils ont alors élaboré une simple représentation graphique sur une feuille de papier, qui montre comment le scénario peut être présenté et traité.
Puis SCS nous a montré ce qui existait déjà comme solution « clé en mains » pour chaque cas d’utilisation. Conjointement avec les chefs d’intervention, il a été évalué ce que nous prenons, ce que nous adaptons et ce à quoi nous renonçons. Le scénario modèle a été représenté au moyen de la maquette papier en nous aidant souvent de simples post-it.
Puis SCS a commencé par l’implémentation, après quoi nos collaborateurs ont testé la solution avec les développeurs. Sur la base des retours d’information, nous avons effectué des optimisations, suivies de nouvelles présentations et de tests avant d’optimiser à nouveau. Le tout, jusqu’à ce que tout le monde fût d’avis que le résultat était bon.
Sans recourir à de grands moyens et en restant ciblés, nous avons ainsi pu trouver une solution pour chaque cas d’utilisation. Nous nous sommes rendu compte que certaines choses, importantes au début, n’avaient pas un caractère aussi critique que nous le pensions au début, alors que d’autres choses sont devenues subitement très importantes au vu des innovations.
En fin de compte, le résultat est un système qui convainc. Et là était justement l’objectif. Les maquettes papier nous ont permis de travailler avec rapidité, flexibilité et à peu de frais. Quelques feuilles de papier, plusieurs blocs de post-it et des crayons de couleur étaient suffisants.
En prenant l’ensemble du projet, qu’est-ce qui a présenté le plus de difficultés ?
La saisie des informations de base destinées à la banque de données SIG a été une tâche colossale. En effet, cette dernière contient entre autres les informations de Swisstopo, de Google Map ainsi que les données fournies par les institutions régionales telles que les remontées mécaniques. Le développement de la banque de données a commencé en octobre 2018, et il a fallu huit mois pour transférer et actualiser les données de base. Cependant, une base de données doit être mise à jour et développée 365 jours par an. Mais ces efforts le valent bien, car la base de données SIG nous procure une plus-value significative. Le nouveau SIG offre de nombreux niveaux et des options diversifiées. Nous pouvons par exemple rechercher des lieux-dits, le nom d’un téléski ou toutes les pistes de VTT dans une région particulière.
Lequel des systèmes destinés au renouvellement était particulièrement sensible ?
Le transfert de la téléphonie RNIS sur All-IP ne doit pas être sous-estimé. De fait, les raccordements et connexions de la téléphonie sont bien plus complexes que ce que l’on en sait généralement. C’est une erreur fatale que de se concentrer uniquement sur le raccordement au système téléphonique public. Il ne représente qu’une couche extérieure posée sur une multitude d’autres. Il s’agit de définir clairement où la téléphonie est connectée au sein du système global, afin de découvrir les nombreuses et problématiques dépendances du système pour pouvoir en tenir compte dans le développement.
Et maintenant que le projet est terminé avec succès, qu’allez-vous faire ?
Continuer mon travail (rire). La Rega compte près de 300 applications en exploitation. Notre service informatique et ses douze collaborateurs sont donc toujours sollicités. Après chaque projet, on est toujours avant le prochain projet.
Quand va-t-il falloir penser au prochain renouvellement de l’infrastructure TIC ?
Nous supposons un cycle de vie d’encore cinq ans. En 2022, nous commencerons à réfléchir à la direction à prendre concernant les solutions TIC de la CIH. Et puis, nous étudions quelles fonctionnalités de la nouvelle CIH pourraient être intéressantes pour la CI des avions ambulance.
Dans quelle mesure êtes-vous fier de ce que vous avez accompli en 2019 ?
Le nouveau système entré en fonction en juillet 2019 a un grand rayonnement. En seulement neuf mois, SCS a créé une solution individualisée de pointe qui remplit toutes les exigences. Je suis confiant en ce qui concerne les projets futurs, car, compte tenu de la digitalisation galopante, nous n’aurons guère le temps de procéder à de tels changements à l’avenir.
La digitalisation se transforme-t-elle en malédiction ?
Je ne pense pas. Mais nous devons agir en étant conscients que la digitalisation n’épargnera pas les services de secours ni les AOSS en général. Il est important de se rendre compte que, si la digitalisation nous demande beaucoup, elle nous permet aussi d’agir mieux, plus vite et plus efficacement. Pour que cela fonctionne, la digitalisation doit être au service de l’homme et pas l’homme esclave de la digitalisation.
Que recommandez-vous à vos collègues des autres AOSS à cet égard ?
Il faut différencier le « Quoi » du « Comment ». Il faut penser en termes de solutions et non de questions. Les utilisateurs doivent formuler clairement ce dont ils ont besoin : « J’ai besoin de ceci et de cela. J’en ai besoin ici et là-bas et de cette manière. » Plus les exigences sont formulées concrètement, plus il est possible d’élaborer de meilleures solutions.
Quelles sont les répercussions au niveau des appels d’offres ?
Les temps où il fallait élaborer des cahiers des charges épais de plusieurs centaines de pages sont révolus. Il est important d’associer les utilisateurs, afin de créer des fonctionnalités dont le fonctionnement est compréhensible par l’utilisateur. À la Rega, nous avons l’avantage incontesté que nos appels d’offres ne doivent pas être conformes aux règles de l’OMC. Mais nous pouvons en principe formuler des exigences correspondantes dans le cahier des charges. Les soumissionnaires potentiels savent ainsi ce à quoi ils doivent s’attendre et doivent garantir qu’ils sont en mesure d’exécuter les termes du contrat.
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